1863
La bohème roscovite
L'été 1863, sur les conseils du Dr Chenantais, Tristan s'installe
dans la maison de vacances de ses parents à Roscoff. Surnommée
« la petite Nice du Nord », la station est recommandée pour
les traitements des affections osseuses et la tuberculose. Commence
alors une vie marquée par la bohème, les facéties et de longues
périodes de solitude. Tristan décline sur tous les tons son
« Armor » et ses « Gens de mer », « Race à part »
d'oiseaux palmés mal culottés », fait des caricatures, louvoie
avec son cotre. Une époque mal connue de ses biographes qui,
ajoutée à ses pirouettes langagières, alimentera la légende
d'un Corbière fantaisiste et fantasque :
« Un drôle sérieux, - pas drôle.
Acteur, il ne sut pas son rôle ;
Peintre : il jouait de la musette
Et musicien : de la palette.» (« Épitaphe »)
Conscient de la gravité de son mal, s'étant découvert laid au
sortir de l'adolescence (« Bonsoir - ce crapaud-là c'est
moi ») et bien décidé à s'offrir du bon temps, Tristan revêt la
panoplie du parfait marin, fréquente les estaminets du port vêtu
d'un suroît, une pipe au coin des lèvres (« Celle qui va bien
à mon type. »), un chien libre comme l'air sur ses talons, dort
dans une barque installée dans sa salle à manger, fait de la navigation
côtière, simule des naufrages. Pourtant la passion de Tristan
pour l'état de matelot, sa « coqueluche » pour le « mateluche »
comme disent les filles, ne date pas de son installation à Roscoff.
Il s'agit d'une passion véritable, d'autant plus sincère qu'elle
est contrariée par sa santé, et qui a pour origine les antécédents
de son père dans la marine, exaltée encore par la lecture des
romans paternels.