Tristan Corbière précurseur,
héritage et modernité des Amours jaunes
L'ironie, le rire jaune, le cynisme, la dérision
de l'écorché, le calembour et les volte-face
sont les tons principaux d'une poésie pourtant
authentique qui puise tantôt au terreau breton,
s'embrume des bordées des « vieux-de-cale-et-frères-la-côte
», tantôt aux senteurs frelatées de
la capitale. Poésie explosive, étrange,
étrangère, indienne où le verbe goûte
une musique plus syncopée, presque incomprise en
son temps, puisque l'ouvrage passe quasi inaperçu.
Le 1er mars 1875, le poète roscovite, alors âgé
de vingt-neuf ans, s'éteint dans la demeure familiale
au 38 quai de Léon à Morlaix. Mais les graines
de la fleurette blême sont les rimes appelées
à ensemencer nos jardins « pour après
»…
1 — Poète maudit
En 1883, Paul Verlaine consacre à Tristan Corbière
la première des monographies des Poètes
maudits, considérée comme la pierre de touche
de l'exégèse corbiérienne. La critique
restera ensuite partagée, jusqu'au milieu des années
cinquante, sur la valeur de Corbière et la légitimité
de ses innovations syntaxiques, alors que du côté
outre-manche et outre-atlantique, T.S. Eliot et E. Pound
font la fortune du poète. C’est que Tristan
Corbière ne se range pas aisément dans les
courants poétiques de son époque. Éloigné
juste ce qu'il faut de « la larme écrite
» romantique, il flirte déjà avec
les courants symboliste et surréaliste à
venir.
C'est au cours d'une lecture faite à son domicile
par Léo Trézenik d'un exemplaire des Amours
jaunes prêté par le cousin de Tristan, Pol
Kalig, que Verlaine s'enthousiasme pour le poète
breton. Aussitôt, il travaille à une première
livraison d'articles qui paraît dans la revue porte-parole
du mouvement symboliste, Lutèce, entre août
et septembre 1883. Larges extraits d'un essai, Les Poètes
maudits, qui doit révéler Tristan Corbière
au public l'année suivante. En 1891, soit dix-huit
ans après la première édition du
recueil, Léon Vanier réédite Les
Amours jaunes. Préfaçant l'édition
d'un essai sur le poète inspiré des commentaires
de Verlaine et de Laforgue, Vanier dresse la fortune littéraire
du poète breton. À compter de ce jour, articles
et essais vont se multiplier, les polémiques s'engager,
tantôt pour lui disputer l'épithète
de « maudit », et le titre de précurseur
de la poésie moderne, ou bien au contraire, pour
lui rendre grâce de ses audaces syntaxiques, de
ses libertés prosodiques. Tristan Corbière
sort enfin de l'ombre où son « suicide littéraire
» manqué lui avait donné un sursis,
juste le temps d'oublier l'homme et ses pieds-de-nez,
pour ne considérer que l'œuvre, ou presque…
Qui sème « la fleurette blême »
peut récolter maintenant…
2 — Tristan Corbière et Rimbaud
L'année de la publication des
Amours jaunes
paraît aussi un recueil d'un poète qui fera
date dans l'histoire littéraire : Une saison en
enfer d'Arthur Rimbaud. Un autre fameux poète maudit.
Bien que Tristan Corbière n'ait pu lire Rimbaud,
la « voyance » du poète roscovite et
celle du poète de Charleville se ressemblent beaucoup.
À commencer par les épithètes solaires
qui les désignent comme poètes prométhéens
aux yeux de leurs semblables : « Voleur de feu »
dira Rimbaud, « Peigneur de comètes »,
« Chevaucheur de rayons », « beau décrocheur
d'étoiles » dira le Corbière des «
Rondels pour après ».
On retrouve en outre chez l'un et l'autre des thèmes
communs : le peuple, les voyous, les mauvaises filles,
l’anticléricalisme, une manière bien
sentie de planter un décor à même
la taverne ou le bouge, une palette de couleurs pures
et criardes, ainsi qu'une parenté dans la veine
scatologique. Dans « Les Remembrances d'un Vieillard
idiot » et « Légende incomprise de
l'apothicaire Danet », Rimbaud et Corbière
utilisent le même arsenal de plaisanteries scatologiques
autour des clystères, clysoirs et autres canules
à lavement.
On notera encore de troublantes analogies entre la mythologie
intime des deux poètes dans « Accroupissements »
et « Paysage mauvais » : une
colique nocturne, la présence de crapauds, d'escabeaux
et de chantres et des allusions à la claudication…
Enfin on se souvient certaienement du cri du poète
solaire dans Poésies :
« Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'Éternité. »
Tandis que de son côté le Tristan de «
Steam-Boat » constate :
« En fumée elle est donc chassée
L'Éternité »
3 — Tristan Corbière, Jules Laforgue
et Apollinaire
La modernité de Tristan Corbière et de ses
Amours jaunes, c'est aussi l'influence qu'il
exercera sur l'auteur des Complaintes, Jules Laforgue,
bien que celui-ci s'en défendît à
plusieurs reprises. Laforgue lui empruntera en particulier
ses rythmes heurtés, la prolifération des
tirets, sa syntaxe syncopée, l'utilisation d'un
lexique étranger, son argot et ses idiotismes.
Plus intéressantes et moins étudiées
sont les affinités entre Tristan Corbière
et Apollinaire. L'auteur d'Alcools mérita l'épithète
de poète de « l’Esprit nouveau »
parce qu'il sut exprimer dans sa poésie «
l'état d'esprit éclectique et peu ordonné
de l'homme moderne avec ses bribes de culture, ses vagues
réminiscences de tradition, sa chaude sensualité
et sa soif d'innocence ». Mais Tristan Corbière
n’a-t-il pas tracé la voie quarante ans plus
tôt ? C'est encore le poète breton qui invente
le premier l'expression « mal-aimée »
dans « À une camarade » :
« Appelons cela : l’amitié calmée
;
Puisque l’amour veut mettre son holà.
N’y croyons pas trop, chère mal-aimée
— C’est toujours trop vrai ces mensonges-là
! — »
Trouvaille poétique qui, déclinée
au masculin, sera appelée à une grande fortune
dans « La Chanson du Mal-Aimé »
4 — Tristan Corbière et le Surréalisme
Ainsi le dadaïste Tristan Tzara reconnaît en
Tristan Corbière un autre iconoclaste de la poésie.
De son côté, André Breton, le pape
du Surréalisme dans les années vingt, cite
Corbière et ses Amours jaunes dans son Anthologie
de l’humour noir. Mais de manière générale
les Surréalistes admirent en Corbière, l'auteur
de « Litanie du sommeil », poème de
163 vers où le poète interpelle violemment
le « Sommeil » et nous déballe ses
insomnies à grand renfort d'un « gargouillement
d'images » hallucinantes. Souvenirs de potache,
versions latines, personnages de la mythologie, bestiaire
fabuleux, personnages interlopes, bric-à-brac d’objets…
En voici quelques exemples :
« Toi qui planes avec l’Albatros des tempêtes,
Et qui t’assieds sur les casques-à-mèche
honnêtes !
SOMMEIL ! — Oreiller blanc des vierges assez bêtes
!
Et Soupape à secret des vierges assez faites !
— Moelleux Matelas de l’échine en arête
!
— Sac noir où les chassés s’en
vont cacher leur tête !
[…]
SOMMEIL — Foyer de ceux dont la falourde est morte
!
[…] — Belle-de-nuit entr’ouvrant son
calice !
Larve, Ver-Luisant et nocturne Cilice !
« Boulet des forcenés, Liberté des
captifs !
Sabbat du somnambule et Relais des poussifs ! —
SOMME ! Actif du passif et Passif de l’actif !
Pavillon de la Folle et Folle du poncif !…
— Ô viens changer de patte au cormoran pensif
! »
Les surréalistes donneront le poème comme
le premier exemple de l'écriture automatique dont
André Breton devait poser les bases dans son Manifeste
du Surréalisme en 1924 : « C'est sans doute
avec Les Amours jaunes que l'automatisme verbal s'installa
dans la poésie française. Corbière
doit être le premier en date qui se laisse porter
par la vague des mots qui, en dehors de toute direction
consciente, expire chaque seconde à notre oreille
et à laquelle le commun des hommes oppose la digue
du sens immédiat. »
Ce « surréalisme » avant la lettre
prouve qu'en matière de poésie Tristan Corbière
est un novateur. Aussi, une rapide confrontation avec
la poésie de son siècle et celle du siècle
suivant permettra-t-elle de mieux juger l'impact et la
modernité poétique des
Amours jaunes.
5 — Tristan Corbière et les Anglo-Saxons
Mais l'héritage de Tristan Corbière, la
fortune littéraire de son recueil et son audience
ont dépassé très tôt La Manche
et l'Océan Atlantique puisque Ezra Pound et T.S.
Eliot se réclamèrent chacun du poète
des
Amours jaunes. Par leur intermédiaire
Corbière a inspiré la génération
d'artistes Anglo-Saxons de la première moitié
du 20ème siècle.
Ce qui a plu d'emblée chez le poète breton
c'est à la fois la tournure d'esprit d'un Celte
proche de celle des Anglo-Saxons et le réalisme
de ses sujets. Sa prosodie quelque peu âpre, son
langage et son imagerie qui fuient le « précieux
» se rattachent aussi à la tradition shakespearienne,
Shakespeare d’ailleurs qu’il cite, ou pastiche
:
« Crépuscule flottant de L’Être
ou n’Être pas !… »
(« Litanie du sommeil »)
Et à qui il emprunte pour se fabriquer des mises
en exergue sur-mesure, telle celle-ci extraite de Macbeth
:
« J’ai scié le sommeil ! »
(«
Litanie du sommeil »)
Tout ceci trouve un écho dans l'âme du lecteur
anglo-américain.
Les Amours jaunes révéleront à Eliot
les moyens de faire une poésie authentique. Eliot
use alors largement du monologue intérieur, du
dialogue et de l'ironie. Ainsi emprunte-t-il à
Tristan Corbière sa technique du poème dialogué
de « Matelots » et du « Bossu Bitor
» dans un poème composé en français
« Dans le restaurant ». Des poèmes
des Amours jaunes serviront encore de toile de fond à
un certain nombre de poèmes écrits en français
entre 1915 et 1922, dont ce « Mélange Adultère
de tout », hommage explicite s'il en est à
son prédécesseur.
6 — Tristan Corbière, l’humour noir
et l’OULIPO
Tristan Corbière est aussi l'initiateur d'une tradition
ironique que l'on retrouve chez Alfred Jarry né
l'année même de la publication des Amours
jaunes. Cette coïncidence place peut-être le
père d'Ubu sans le savoir dans un rapport quasi
fraternel avec Corbière. L'un et l'autre ont fait
vivre dans leurs œuvres la veine de leurs premières
« pochades » de collégiens ; l'un et
l'autre dénotent par leurs « agressions »
contre le genre qu'ils pratiquent et révolutionnent
; l'ironie grinçante de Corbière se trouve
en écho dans le comique macabre de Jarry ; l'un
et l'autre enfin abondent en calembours et en jeux de
mots.
Cependant, un exemple de leur humour noir —l'autre
l'ayant plutôt jaune— retiendra notre attention
: retrouvé inanimé dans sa chambre à
Paris, Tristan est transporté à l'hôpital
Dubois. Il écrit à sa mère qui viendra
le chercher : « Je suis à Dubois dont
on fait les cercueils », et meurt trois mois
plus tard… Jarry, quant à lui, réclamera
un « cure-dents » sur son lit de mort…
Au 20ème siècle Tristan Corbière
a séduit Raymond Queneau, l'auteur du Chien à
la mandoline, qui lui dédie un poème. De
la même manière qu'on a cru au « surréalisme
» de Corbière, on peut lire dans le poème
« I - Sonnet, avec la manière de s'en servir
» un exemple avant la lettre d'exercice pratiqué
par les membres de L'OULIPO (OUvroir de LIttérature
POtentielle), courant poétique fondé par
Queneau et Georges Perec dans les années soixante
et dont les créations jouent avec les contraintes
des genres. S'attaquant, dans ce sonnet qui dit son nom,
à une forme fixe, fleuron de la poésie depuis
la Renaissance, Tristan construit son poème en
jouant avec ses contraintes formelles :
« La preuve d'un sonnet est par l'addition :
— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô…
— Sonnet — Attention ! »
7 — Création et récréation
littéraires
La modernité de Tristan Corbière passe aussi
par un travail sur le vocabulaire. En effet, le poète
est l'inventeur de vocables nouveaux, de néologismes
expressifs d'une qualité et d'une force telles
qu'il est difficile, après en avoir éprouvé
la justesse, de s'en défaire.
Créations savantes formées à partir
du latin, tel « Plangorer », inspiré
du verbe latin « plangor », crier sa douleur.
Verbes forgés sur des noms propres : « Grazieller
» inspiré par la jeune italienne Graziella
servant à stigmatiser la manière larmoyante
de Lamartine. Tantôt encore le néologisme
lui est inspiré par un acquis technique comme ce
« râtelier osanore », adjectif emprunté
à la pratique dentaire, et encore dans cette mise
en garde de « Veder Napoli poi mori » : «
Ne ruolze plus ça, toi, grand Astre stupide ! »
verbe forgé à partir du nom du métal
artificiellement doré par le procédé
de la pile voltaïque mis au point par Ruolz. Il faut
encore ajouter le verbe hygiénique « clyso-pomper
» et celui éminemment poétique, «
roser », pour répandre de la rosée...
Les néologismes concernent aussi les noms communs
et adjectifs par suffixation, et donnent naissance
à de nouveaux types : le « Dégoûteux »,
la « dévotieuse » et surtout ce «
Décourageux », titre d'un poème
définissant une philosophie que Tristan voudrait
faire sienne. Virulent plaidoyer du poète pour
un art de « Sublime Bête » :
« Ce fut un vrai poète : Il n'avait pas de
chant.
Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.
Peintre : il aimait son art — Il oublia de peindre…
Il voyait trop — Et voir est un aveuglement.
[…]
Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes
!…
Quel vitrier a peint ! quel aveugle a chanté !…
Et quel vitrier chante en raclant sa palette,
Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette !
— Est-ce l'art ?…
— Lui resta dans le Sublime Bête
Noyer son orgueil vide et sa virginité. »
Reste enfin cette « mâle-mort », signe
avant-coureur d'une mort précoce réservée
à l'enfant mâle de la famille. La «
mâle-mort » annonce le ton augural des «
Rondels pour après ».
8 — « un coup de raccroc » ?
Tristan Corbière n’est pas un poète
de hasard ni un poète de fortune qui aurait atteint
au sublime par accident. Il travaillait ses pièces
jusqu'à la plus parfaite concision. Et là
où l'on croit voir, selon son expression, «
un coup de raccroc », c'est-à-dire un hasard,
il y a la savante alchimie d'une dépoétisation
du langage, un pastiche des sujets trop courus, la recherche
patiente et l'examen minutieux des mots qui, par des associations
à rebours, des effets de paronomase, par des oppositions
syntaxiques, des calembours, des néologismes, des
archaïsmes et de l'argot, bousculent la syntaxe pour
libérer un sens plus « nature », un
style ni « poli ni repoli ».
Il n’est que de relire le poème éponyme
de la section « ÇA » où Tristan
tente de définir —à un éditeur
? aux critiques littéraires ?— le sujet et
le genre des
Amours jaunes pour comprendre la
démarche originale et iconoclaste de notre poète
:
« Des essais ? Allons donc, je n’ai pas essayé
!
Étude ? — Fainéant je n’ai pas
pillé.
Volume ? — Trop broché pour être relié…
De la copie ? — Hélas non, ce n’est
pas payé !
Un poëme ? — Merci, mais j’ai lavé
ma lyre.
[…]
— Bon, ce n’est pas classique ? — À
peine est-ce français !
[…]
… ÇA c’est naïvement une impudente
pose ;
C’est, ou ce n’est pas ça : rien ou
quelque chose…
[…]
— C’est du… mais j’ai mis là
mon humble nom d’auteur,
— Et mon enfant n’a même pas un titre
menteur.
C’est un coup de raccroc, juste ou faux, par hasard…
L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas
l’Art. »
Tristan houle volontiers son alexandrin pour lui donner
en apparence son air boiteux, travaille sa cacophonie
pour casser la petite musique intérieure trop connue
et chercher de nouvelles harmonies. C'est là sa
plus grande « modernité ».
Enfin, un extrait d'une de ses nouvelles donnera encore
la pleine mesure d'un talent ample et varié : Le
Casino des trépassés pourrait être
un bel exemple de poème en prose :
« Un pays, — non, ce sont des côtes
brisées de la dure Bretagne. Penmarc'b, Toul-infern,
Poul-Dabut, Stang-an-Ankou... Des noms barbares hurlés
par les rafales, roulés sous les lames sourdes,
cassés dans les brisants et perdus en chair de
poule sur les marais… Des noms qui ont des voix.
Là, sous le ciel neutre, la tourmente est chez
elle : le calme est en deuil.
Là, c'est l'étang plombé qui gît
sur la cité d'Ys, la Sodome noyée.
Là, c'est la Baie-des-Trépassés où,
des profondeurs, reviennent les os des naufragés
frapper aux portes des cabanes pour quêter un linceul
; […].
Là naissent et meurent des êtres couleur
de roc, patients comme des éternels, rendant par
hoquets une langue pauvre, presque éteinte, qui
ne sait rire ni pleurer…
C'est là que j'invente un casino. »
9 — Les « Rondels pour après »
Il y a pour clore le recueil des
Amours jaunes,
une section qui n’a pas son pareil dans l’ouvrage
: « Rondels pour après ». Six poèmes
en tout et pour tout écrits en italiques comme
pour signaler une rupture avec l’ensemble. Le poète
donne encore de la voix, mais il s’agit d’une
voix venue d’outre-tombe, une voix étonnamment
lucide cependant.
Tristan Corbière semble un peu abandonner ici son
vers syncopé, ses effets de paronomase, ses calembours,
sa veine cynique et son instinct de dérision pour
faire entendre une chanson douce, une berceuse que chanterait
une mère. On peut aussi penser à un dédoublement,
le poète s’adressant à un double infantile
pour apprivoiser la peur de la mort. Bien que le sujet
soit la mort, il est la plupart du temps traité
dans une version euphémisante, si l’on se
réfère au leitmotiv du verbe « dormir
» dans sa modalité injonctive dans les quatre
premiers poèmes, dont celui éponyme de la
section :
« Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles
!
Il n’est plus de nuits, il n’est plus de jours
;
Dors… »
Les six poèmes traitent également de la
disparition matérielle du poète, tout en
le plaçant du côté de l’éternité,
d’une apothéose telle que la concevaient
les poètes de l’Antiquité.
« Ils te croiront mort — Les bourgeois sont
bêtes —
Va vite, léger peigneur de comètes ! »
(«
Petit mort pour rire »)
Sa voix, son chant traversent le siècle, les siècles
pour se faire entendre bien longtemps après sa
mort :
« Ici reviendra la fleurette blême. »
Tel est le dernier vers des
Amours jaunes…
blêmes et mortifères les amours pour finir.
Telle est l’ultime pirouette d’un poète
qui se sait condamner mais qui reste conscient, «
en dépit de ses vers », et grâce à
eux, de sa valeur poétique. Sans parler de la liberté
prise avec le genre du rondel, qu’il pétrit,
façonne encore à son image. Celle d’un
poète iconoclaste et novateur.